UN AIR DE FETE
Cette année là, le jour de la fête des pères tomba le jour de la fête de la musique. Troublante
coïncidence, le soir même le coeur fatigué de mon vieux papa musicien cessa de battre. Courte nuit fatale du solstice d'été où une lueur scintillante prit la
direction de la voûte céleste et s'éleva dans le ciel en fête qui célébrait l'arrivée de la belle saison à grand renfort d'étoiles filantes choisissant le chemin
inverse.
Fragile petite lumière paternelle disparue à jamais,
énorme boule d'amour coincée dans ma gorge ne trouvait plus place naturelle dans mon coeur bouleversé.
Aujourd'hui je me souviens. Précieuse mémoire qui me permet de le faire survivre, d'évoquer ses clins
d'oeil complices, ses éclats de rire qui me galvanisaient, de me rappeler aussi de ses angoisses qui me brisaient le coeur, ou de
ses longs silences évoquant d' indicibles secrets.
Je me souviens de ses gestes brusques et maladroits de gaucher contrarié lorsqu'il piochait la terre du jardin en jurant en patois à l'aide de longues litanies
de noundédioudénoundédiou... Pupille de la Nation, mon père n'aimait pas travailler la terre dont son oncle l'avait
dépossédé : " Si tu réclames ta part, je te ferai tout bouffer ! " . Menace sans fondements, il ne réclamait rien, seul le rejet le fit souffrir.
En revanche, ses mouvements devenaient précis quand il travaillait le bois. Concentré, attentif, le corps penché devant son établi, il
prenait plaisir à raboter, scier, limer, meuler, assembler, sculpter, en sifflant ou en chantonnant, entre deux bouffées d'une gitane papier maïs qu'il laissait se
consumer dans un vieux cendrier.
Quel bonheur pour lui de transmettre bénévolement la musique à ses petits
élèves. Musique où l'on pénétra à tâtons pour le partage des émotions lorsque nous étions enfants, la musique soignait toutes ses frustrations.
Peu à peu, ses activités avaient diminué mais il était toujours préoccupé du bien être des
autres. A l'hôpital,
après son opération cardiaque, à peine sorti des soins palliatifs, il tentait de redonner le moral à ses voisins de chambre. Il resta le même jusqu'au bout, généreux et
modeste. En d'autres temps, il n'avait tiré aucune fierté de s'être engagé au péril de sa vie. Il n'avait fait que son
devoir d'honnête homme en toute simplicité.
Quatre ans ont passé....
Il arrive encore que la tristesse de l'avoir perdu m'envahisse sans s'annoncer, au hasard d'une phrase entendue, d'une
silhouette aperçue, d'une odeur de copeaux, imprévisibles traquenards entraînant d'irrépressibles coups au coeur.
Ces bouffées incontrôlables d'émotions m'avaient éloignée de la musique.
Ce mois-ci, je suis allée au concert. Bien sûr, j'ai essuyé
quelques larmes, juste quelques larmes mais le pas était franchi.
Toi qui n'es plus là pour consoler
la petite fille tremblant de peur ou découragée que je redeviens parfois et que j'essaie de réconforter avec tes mots et ta tendresse joyeuse, toi qui ne tremblais pas devant la mort ou qui le cachais si bien, tu peux être fier de
nous. Chacun a su conserver à sa façon ton héritage de vie qu'il transmet à son tour.
Mon cher papa , où que soit le nuage où ton
énergie s'est posée, d'infimes parcelles de sa lumière sont restées en moi, et toutes ces ondes positives que je ressens quand la vie est belle, c'est
toi qui m' a appris à les discerner.