LE PAYSAN ET LE MOINEAU
Il était une fois un paysan très
pauvre.
Comme il n’achetait jamais de
viande, il allait à la chasse.
Quand la
chasse était interdite, il allait en cachette, poser des pièges dans la forêt. Il attrapait ainsi des bêtes qu’il emportait chez lui, toujours en cachette, les faisait cuire et les
mangeait.
Dans le premier piège, il n’y a
rien.
Dans le deuxième,
rien.
Dans le troisième enfin, un moineau s’est fait prendre.
Un tout petit moineau, qui tient dans le creux de la main, et ne pèse presque rien...Le paysan le regarde, hausse les épaules et se dit :
Ce n’est pas grand-chose, mais quoi ? C’est toujours ça...Il prend donc le moineau, s’apprête à lui tordre le
cou, mais voici que l’oiseau se met à lui parler dans la langue des hommes :
Si tu me tues, qu’est ce que tu auras ? Un bol de bouillon maigre et deux bouchées de viande ! Tandis que si me laisses en vie, si tu me rends ma liberté, je te donnerai trois conseils,
qui feront de toi le plus heureux des hommes !
Le paysan se met à réfléchir. C’est vrai que l’oiseau est bien petit. S’il le mange, il fera maigre chère... Et s’il peut, en le libérant, devenir le plus heureux des hommes,
cela mérite réflexion !
-Vraiment tu peux faire de moi le
plus heureux des hommes ?
-Vraiment !
-Tu me le promets ?
-Promis !
-Tu me le jures ?
-Juré !
C’est bon. Mais si tu ne tiens pas ta parole et si je te rattrape, alors,
gare à toi !
Sois tranquille ! répond l’oiseau.
Le
paysan le lâche. Aussitôt la petite bête va se percher sur une branche basse et dit : Écoute bien maintenant mon premier conseil : Ne crois pas tout ce qu’on te dit.
Tu te fiches de moi ? répond le paysan. Je le sais bien, qu’il ne faut pas croire tout ce qu’on entend dire ! Tu parles d’une
nouveauté !
Et il avance pour reprendre l’oiseau. Mais celui-ci s’envole
pour aller se percher sur une branche plus haute.
-Écoute bien maintenant mon second conseil : ne regrette pas ce que tu
n’as jamais eu. Cette fois le paysan se met en colère :
-Si j’avais su, crie t-il, que tu me dirais de pareilles bêtises, je
t’aurais tué tout de suite, sans même t’écouter ! Qu’est ce que c’est que cette histoire ? Ce que je n’ai jamais eu, je ne peux pas l’avoir perdu ! Et je ne peux pas regretter ce
que je n’ai pas perdu !
-Si c’est vrai, dit le moineau, tu es déjà beaucoup plus sage que tu n’en as l’air. Mais écoute mon troisième conseil !
En entendant ces mots le paysan se calme un peu :
Après tout pense-t-il, je n’ai rien à perdre à l’écouter, puisque de toute façon, je ne peux plus le rattraper ! Il se tait donc.
Alors le petit moineau s’envole encore une fois, pour aller se percher tout au sommet de l’arbre, et, une fois là-haut, il se met à chanter :
Il y a dans ma tête une pierre de diamant
Plus grosse que le poing et lourde à l’avenant.
Si tu m’avais gardé,
Si tu m’avais tué,
Tu pourrais t’acheter
Les champs, les bois, les terres
De la province entière !
En entendant cette chanson, le paysan se met
à pleurer :
Hélas, petit oiseau ! Ta dernière chanson fait de moi le plus malheureux des hommes ! Quand je pense que j’aurais pu devenir riche, et posséder les terres de la
province !
Alors le petit oiseau redescend près de lui, mais pas trop près
toutefois, car il n’a pas envie que l’homme le reprenne :
Console-toi, dit-il. Tu n’es pas le plus
malheureux des hommes, tu es seulement plus bête, et cela pour trois raisons.
La première, c’est que tu regrettes ce que tu n’as jamais eu.
La seconde, c’est que tu as cru ce que je t’ai dit, contre l’évidence même.
Car enfin, et c’est là la troisième raison, comment veux-tu qu’un moineau comme moi, qui tient dans le creux de la main et ne pèse presque rien, contienne dans sa tête une pierre grosse comme le
poing ? Tu vois donc bien que mes deux premiers conseils n’étaient pas inutiles !
Au revoir paysan ! Et tâche d’être moins sot !
Là-dessus, le moineau s’envole et le paysan rentre chez lui. Tout en marchant il réfléchit, réfléchit, réfléchit...Depuis ce jour, à ce que dit le conte, il n’a plus cru tout ce qu’on lui disait,
il n’a plus regretté ce qu’il n’avait jamais eu, et il est devenu, par conséquent, le plus heureux des hommes.
Pierre Gripari (Les contes de la folie Méricourt)